« Ouvre l’œil sur ton sommeil® » : France Insomnie fait salle comble à Lyon
L’association qui fête tout juste son deuxième anniversaire vient d’organiser, coup sur coup, deux conférences-débats. La première s’est tenue à Paris le 16 mars dernier lors de la 18e Journée du sommeil® et avait pour thème : « Que faire devant une insomnie ? ». Le 20 mars, l’équipe de France Insomnie se rendait dans la capitale des Gaules en invitant les insomniaques à ouvrir l’œil sur leur sommeil.
Un appel entendu et couronné de succès puisque, cinq jours seulement après l’envoi des invitations, plus de 150 personnes s’étaient enregistrées pour y participer. Pour des raisons de capacité de salle et de sécurité, il a fallu clore les inscriptions plus tôt que prévu.
Placée sous la présidence d’honneur de monsieur Pascal Blache, maire du 6e arrondissement et conseiller à la métropole de Lyon, cette conférence-débat a réuni d’éminents spécialistes du sommeil :
– le docteur Patrick Lemoine, psychiatre, docteur en neurosciences et auteur de nombreux ouvrages consacrés au sommeil et à ses troubles, dont le dernier qui vient de sortir : « Dormez ! Le programme complet pour en finir avec l’insomnie » aux éditions Hachette.
– le docteur Marie-Josèphe Challamel, pédiatre, spécialiste reconnue du sommeil de l’enfant et ancienne chercheuse à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), également auteur de plusieurs ouvrages consacrés au sommeil des enfants.
Jean-Marc Loison, président de France Insomnie, a tout d’abord salué l’assistance, venue très nombreuse, et remercié monsieur le maire ainsi que ses équipes pour leur mobilisation et la mise à disposition d’une salle en capacité d’accueillir tous les présents.
Les méfaits du sommeil coûtent 2 milliards d’euros par an
Pour planter le décor, le président a rappelé quelques chiffres significatifs : « 30 % est le temps que nous passons à dormir. C’est aussi le pourcentage des Français qui souffrent d’insomnies à un moment ou à un autre de leur vie, dont 10 % présentent une forme chronique sévère impliquant une prise en charge malheureusement assez souvent inefficace. Le coût actuel des conséquences de l’insomnie (absentéisme, maladies, accidents…) est estimé à 2 milliards d’euros par an alors que peu de professionnels sont formés à ce problème de santé publique. »
Promouvoir la reconnaissance de l’insomnie et sa prise en charge
Le président a ensuite présenté l’association, sa raison d’être et ses missions : « Il n’existait pas jusqu’à présent de structure pour se préoccuper véritablement des insomniaques et leur donner la parole. Nous avons donc décidé de créer France Insomnie pour et par les patients qui souffrent quotidiennement de cette pathologie. Notre objectif est de fédérer des personnes physiques ou morales autour des troubles du sommeil liés à l’insomnie et de promouvoir la reconnaissance ainsi que la prise en charge de cette maladie. »
Et de souligner que l’association s’appuie sur un Conseil scientifique composé de l’INSV (Institut National du Sommeil et de la Vigilance), du Réseau Morphée (réseau de santé consacré à la prise en charge des troubles chroniques du sommeil) et de la SFRMS (Société Française de Recherche et de Médecine du Sommeil.)
De nombreuses actions à son actif
C’est ensuite Françoise Rousseau, cofondatrice et secrétaire de l’association, qui a pris la parole pour exposer les nombreuses actions déjà entreprises par l’association : création d’un site Internet et communication sur les réseaux sociaux, diffusion de plaquettes à destination des professionnels de la santé et du grand public, organisation de rencontres avec les insomniaques, conférences, participation annuelle au congrès du sommeil et à la journée du sommeil, Mise en place d’antennes régionales France Insomnie, contributions et témoignages auprès des médias écrits, radios et TV (une quinzaine d’émissions en deux ans).
Le sommeil décrypté
Le docteur Patrick Lemoine a salué la création de France Insomnie en précisant que l’insomnie est un vrai problème de santé publique et qu’il était temps qu’une association de patients voie ainsi le jour : « Je vous informe que les premiers tests de traitements de l’insomnie remontent au Code de Hammurabi, c’est-à-dire à environ 1750 avant Jésus-Christ. C’est un texte juridique, mais ce dernier répertorie déjà 750 remèdes à certains maux. Par ailleurs, le caducée (l’emblème du corps médical) a été assimilé à une baguette qui avait une vertu somnifère. »
Il fit part ensuite de son expertise sur le sommeil de manière très conviviale et interactive en faisant participer la salle : qu’est-ce que le sommeil ? À quoi ça sert de dormir ? Qu’est-ce qu’un sommeil normal ? Le cycle circadien, définir son chronotype (être du matin ou du soir), évolution du sommeil en fonction de l’âge, quelles sont les conséquences d’un manque de sommeil ? Les mécanismes de veille-sommeil, les différentes expérimentations qui ont permis d’établir l’existence de relations causales de troubles du sommeil sur le corps en l’affectant ou en provoquant certaines maladies…
Le mal dormir
Hypersomnie, insomnie et parasomnie sont les 3 principaux troubles du sommeil. Le premier se traduit par un sommeil profond et excessif, mais le sujet se réveille le matin non reposé et reste somnolent la journée. Cet état peut également résulter du syndrome d’apnées du sommeil (SAS) : 4 % chez les femmes et 6 % chez les hommes. Une pathologie souvent sous-diagnostiquée qui doit éveiller les soupçons si en plus, le patient ronfle et se plaint de suées nocturnes ou nycturies (envies fréquentes d’uriner la nuit). Un mal à ne pas prendre à la légère tant les conséquences peuvent être graves : problèmes cardiaques (2/3 des hypertensions instables et 1/3 des autres hypertensions, la moitié des insuffisances cardiaques), dépressions, impuissance, maladie d’Alzheimer… « Sachez qu’un seul verre de vin au dîner multiplie par deux le nombre et la durée des apnées, prévient le docteur. L’obésité, le diabète, l’insuffisance thyroïdienne et certains médicaments comme les somnifères aggravent les apnées. »
Souvent, pour améliorer la situation, il suffit de perdre du poids (pas toujours efficace), supprimer les toxiques (vin le soir et les somnifères) ou dormir sur le côté. À ce jour, le remède le plus efficace est l’APPC (Appareil à Pression Positive Continue). Il suffit de porter un masque sur le visage, qui grâce à un petit moteur, insuffle de l’air sous pression dans les voies respiratoires. Le patient retrouve alors instantanément une respiration normale. Aujourd’hui, les appareils sont moins encombrants, moins bruyants et beaucoup plus confortables. Une alternative étant les orthèses mandibulaires, un dispositif buccal qui permet de maintenir la mâchoire inférieure en position avancée durant le sommeil, facilitant ainsi le passage de l’air. Le recours à la chirurgie reste un acte exceptionnel dans les cas les plus sévères selon Patrick Lemoine.
Autres hypersomnies pourvoyeuses d’insomnies, la narcolepsie (la personne s’endort à tout moment d’un seul coup) et la cataplexie (faiblesse musculaire brutale, voire même paralysie flasque à chaque fois que la personne a une émotion forte). Pour mémoire, le docteur a rappelé les cas d’hallucinations visuelles à l’endormissement ou encore des micro-paralysies qui peuvent survenir et durer quelques secondes, notamment au réveil.
Insomnies, quand tu nous tiens
Patrick Lemoine a rappelé quelques chiffres issus de différentes études qui sont venus corroborer ceux annoncés par France Insomnie en début de conférence. (53 % des Français se plaignent de mal dormir, 40 % disent souffrir d’insomnies dont 20 % diagnostiquées). « C’est une maladie extrêmement fréquente qui représente une grande souffrance pour les patients et un poids économique considérable. Les insomniaques ont souvent une vie sociale et professionnelle difficile. Même s’il existe l’insomnie paradoxale ou suggestive, c’est-à-dire que les personnes dorment, mais ne perçoivent pas la qualité de leur sommeil, nous devons être à leur écoute, car il y a souffrance. »
Quant à l’insomnie, elle est considérée comme chronique lorsqu’elle se manifeste plus de 3 fois par semaine pendant plus de 3 semaines. Généralement, 3 cas de figure existent : quand on a du mal à s’endormir (plus de 30 minutes) ; on se réveille une ou plusieurs fois la nuit sans pouvoir se rendormir facilement ; on se réveille trop tôt (bien avant l’heure habituelle).
Les causes de l’insomnie sont multiples : mauvaise hygiène de vie, anxiété, horaires de travail irréguliers, bruits, médicaments (béta-bloquants, mais surtout la cortisone), maladies, fièvre…
Patrick Lemoine a rappelé que les aliments ou boissons contenant de la caféine comme le café, le thé (théine), le chocolat et le coca sont à proscrire après une certaine heure selon la tolérance de chacun, car le principe actif peut atteindre son pic d’efficacité (stimulation) entre 6 et 12 heures après son absorption. Il ne faut pas oublier que la concentration en caféine d’un café s’accentue avec la durée de passage de la vapeur ou l’eau au travers de la mouture. Autrement dit, un café traditionnel allongé risque plus de retarder votre endormissement qu’un expresso. Quant au thé, c’est l’inverse : plus il est infusé et moins la théine aura d’effet, étant partiellement neutralisée par les tanins qui se libèrent au fil du temps d’infusion.
Les conséquences des insomnies chroniques sévères sont maintenant bien connues : obésité, troubles de l’humeur et de la mémoire, maladies auto-immunes, neurodégénératives, cardiovasculaires, cancers, dépressions… Et au docteur de citer ce dicton prononcé régulièrement dans les milieux épidémiologiques du sommeil : « L’insomniaque chronique de 20 ans va faire le déprimé de 40 ans ! »
Quelques conseils
On a souvent tendance à oublier les règles les plus élémentaires d’une bonne hygiène de vie favorisant le sommeil.
– Avoir des rythmes ponctuant sa journée : repas à heures fixes, horaires réguliers du coucher et surtout du lever (se réveiller toujours à la même heure, même le week-end : c’est votre horloge interne qui dicte vos rythmes de sommeil), instituer un rituel avant d’aller au lit en évitant tout travail intellectuel : se relaxer, faire ce qu’on aime ;
– Réserver sa chambre exclusivement au temps de sommeil et aux moments intimes : pas de TV, de smartphones ou tablettes (la lumière bleue des écrans bloque la libération par le cerveau de la mélatonine, l’hormone du sommeil). La pièce doit être à l’abri des bruits, aérée et fraîche (18 °C environ, car le corps a besoin d’abaisser sa température avant de s’endormir) et obscurité complète (stimule la sécrétion de mélatonine) ;
– S’exposer à la lumière le matin, avoir des activités physiques ou pratiquer du sport avant 17 – 18 h. Ne pas faire de siestes de plus de 20 minutes.
– Pas de dîner juste avant d’aller se coucher, le repas sera léger sans excitants comme le café, le thé, ou boissons alcoolisées…
– Ne pas culpabiliser : ne pas se focaliser sur son sommeil. Le désir de dormir à tout prix empêche souvent de dormir ! Si l’on ne dort pas bien une nuit, on dormira mieux la prochaine. Il faut plutôt privilégier la qualité du sommeil que la quantité.
– Ne pas rester au lit éveillé plus de 20 minutes. Se lever et avoir une activité non stimulante. Retourner se coucher lorsque les signes du sommeil sont de retour.
– Essayer les méthodes douces : phytothérapie (valériane, passiflore, eschscholtzia, mélisse en cas de grossesse), relaxation (notamment, quand on a du mal à s’endormir), cohérence cardiaque (technique de respiration contrôlée), auto-massage, méditation, sophrologie, hypnose, TCC (Thérapie comportementale et cognitive)… la mélatonine : suite au consensus des professionnels de la santé lors du dernier congrès du sommeil en novembre 2017, elle peut être prise sans danger pour retrouver un rythme (notamment pour ceux qui travaillent la nuit ou voyagent accusant les décalages horaires) ;
– Les somnifères ne sont à prendre qu’en dernier ressort : pas plus de 3 semaines pour éviter toute accoutumance.
Rappelons que depuis le 10 avril 2017, les médicaments à base de zolpidem (Stilnox et génériques) sont soumis à prescription sur ordonnance sécurisée.
Le sommeil de l’adolescent
Le docteur Marie-Josèphe Challamel a rappelé qu’un enfant de 6 à 10 ans bénéficie d’un sommeil lent profond très riche, pour devenir plus léger quelques années plus tard. Il perd 40 % de son temps de sommeil lent profond entre le début et la fin de l’adolescence.
Physiologiquement, l’adolescent est un couche-tard et lève tard (au moment de la puberté, la sécrétion de mélatonine est moins abondante). Son horloge biologique pourrait être légèrement décalée par rapport aux 24 heures avec une augmentation transitoire de la période circadienne. L’heure d’endormissement généralement constatée passe ainsi de 22 h 30 à 0 h 30 entre 12 et 18 ans. Il est attiré par les écrans qui bloquent la mélatonine et retarde son endormissement. Certains, épuisés, après les cours, font une sieste, souvent trop longue (il ne faudrait pas dépasser les 20 minutes). Aussi, l’adolescent a souvent tendance à rattraper sa dette de sommeil en se levant tardivement le week-end, ce qui entraîne souvent l’insomnie du dimanche soir, d’ailleurs également observée chez l’adulte.
La dernière étude publiée par l’INSV (Institut National du Sommeil et de la Vigilance), lors de la Journée du sommeil du 16 mars 2018, révèle que 88 % des jeunes s’estiment en manque de sommeil et se plaignent du retentissement sur leur journée. 4 Jeunes sur 10 de 15 à 24 ans manquent gravement de sommeil (moins de 7 heures par nuit en semaine).
Les conséquences sont tout aussi dramatiques que chez l’adulte : baisse de la concentration, troubles de l’humeur, agressivité, dépression, idée et tentative de suicide, obésité, diabète de type 2, risques cardiovasculaires, moindre résistance aux infections… sans compter le manque de vigilance. Marie-Josèphe Challamel déplore que plus de la moitié des accidentés de la route ont moins de 25 ans.
Les remèdes sont sensiblement les mêmes que ceux préconisés aux adultes (voir plus haut § « Quelques conseils »)
Par ailleurs, le docteur souhaite sensibiliser les pouvoirs publics aux besoins physiologiques des jeunes. Une des mesures que la spécialiste du sommeil des enfants prône depuis des décennies serait de retarder l’entrée en cours le matin. Un décalage de seulement 30 minutes améliorerait de façon significative le comportement et les performances des élèves. À l’appui, plusieurs études pour le démontrer.
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